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Sideara
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Voila un texte que j'ai écrit un aujourd'hui, que je viens de finir de peaufiner. J'suis plutôt content, même si la première personne n'est pas mon truc, et le présent non plus. Alors la première personne du présent je n'en parle même pas !
Bref, j'espère que ça vous plaira !
Proie.
Je le découvre, là, au beau milieu de l'immense plaine gelée. Fasciné, presque hébété par la flamme brillant au fond de ses yeux, seules tâches sombres sur son pelage de neige et son museau rougi par le sang, je le regarde, sans jamais me lasser du spectacle que m'offrent ses crocs fendant la chair. Sans même m'en rendre compte, j'approche, presque dans un trébuchement. Encore un, incontrôlable. Et encore un. Un nouveau pas, m'amenant inexorablement vers le prédateur, qui ne m'avait pas encore vu. D'autres pas me font avancer comme un papillon ne pouvant résister à la chandelle qui brûlerait ses ailes.
Le pas de trop. Le loup relève le museau, les babines retroussées, et une étrange lueur dans ses yeux de perle noire. Immobile, campé sur ses quatre pattes plus sûrement qu'un chêne sur ses racines, il renifle, humant l'odeur alléchante de la pauvre humaine que je suis. Il ne grogne pas, ne hurle pas. Il me regarde, plissant toujours ses narines, montrant légèrement les crocs, puis fait un pas en avant. Gracieux et léger, malgré la puissance dégagée par le moindre de ses poils couverts de neige. Moi, sans réfléchir plus avant, je m’écroule à genoux, quelques mètres devant lui. Je regarde le sol devant moi, mes mains se serrant en deux poings glacés, alors que le froid parcoure chacune de mes cellules.
Il s'approche encore, et, fermant les yeux, j'arrive à sentir son souffle chaud passant dans mes cheveux. Il me renifle à nouveau. J'entends même le faible bruit de ce geste naturel pour cet animal sauvage. Un frémissement me parcourt tandis qu’une goutte de sang quitte son museau pour tomber sur mon corps, dernière larme chaude d’une biche foudroyée dans sa course. Un autre, lorsqu'un bruit inconnu survint, juste devant mes pieds.
Je sens son museau humide frôler ma joue, me recouvrant certainement du liquide écarlate collant à ses poils d'un blanc presque bleuté, me humant encore. Je l'entend enfin bouger, sans agressivité apparente et j'ose enfin lever les yeux vers lui. Après deux pas en arrière, il se retrouve à un mètre de moi, me regardant dans les yeux. Je le fixe. La bouche fermée, le poil non hérissé, il semble attendre quelque chose.
Je porte les mains à mon corps, essayant de les réchauffer, les frottant l'une contre l'autre, alors que mes jambes nues bleuissent à vue d’œil. Il baisse le museau, comme le ferait un chien avec son maître, gémissant faiblement. Me concentrant encore plus sur mes jambes, j'aperçois une tâche de sang, bien plus étendue que l'aurait fait une goutte provenant de son museau. Passant mes doigts dans le sol gelé, je saisis un minuscule morceau de viande crue, enrobée de neige. Je lève des yeux ronds vers l'animal, qui gémit encore.
Je regarde la viande rouge de l'animal mort, bien moins rouge que son sang, blanchie par le froid et la neige. Je pose à nouveau mes yeux sur le prédateur devant moi, qui gémit encore, m'encourageant. Portant lentement la viande à ma bouche, je la touche de mes lèvres glacées. Une vague de chaleur, soudaine et violente, monte de mon ventre à ma gorge. Me penchant rapidement sur le côté, je vomis. Rien, si ce n'est un liquide malodorant, synonyme d'un estomac vide depuis plusieurs jours.
Il me regarde, le museau relevé, comme compréhensif. Tant bien que mal je me redresse sur mes deux jambes. Je les observe, mes genoux sont bleus, et elles tremblent comme une feuille dans un orage d'hiver.
Rassemblant les haillons que je porte sur mon corps glacé, essayant de bouger mes orteils nus et bleuâtres, je me retourne aussi rapidement que possible, et cours.
Tandis que je m'éloigne, aussi vite que me portent mes jambes frigorifiées, tremblant encore de ma folle hardiesse, j'entends le loup sauvage me rattraper. Il court, enfin, trottine pour rester à mon niveau, quelques mètres à ma droite.
Je ne sais où je vais. Le seul endroit existant dans cette direction est ma maison. Maison détruite, souillée, violée par d'autres animaux. J'ai fuis, et fuis encore dans la forêt, à moitié nue, avant qu'ils ne s'attaquent à moi. Mais là j'y retourne, je cours à nouveau. Je ne fuis pas l'animal, qui semble intrigué, presque amusé. Je fuis le sang et la mort. Pour retrouver le feu et la souffrance. Mais qu'importe, le papillon n'a apparemment pas peur de se brûler les ailes.
Les flammes, la fumée, l'odeur du bois cramé. Le trajet du retour a été plus rapide, sans doute rythmé par le loup qui suivait toujours. Ils étaient là, encore. Deux... non ! Trois.
Je m'arrête. Transpirant à grosses gouttes, malgré le froid qui m'enlace à nouveau. Le loup se rapproche de moi, à peine essoufflé, mais le poil hérissé. Il feule doucement, montrant les crocs en voyant les autres. Mais je le laisse là. J'approche de ma maison qui brûle, à petits pas, la mâchoire serrées et les poings fermés. J'en vois un à l'écart, et sans hésiter je lui fonce dessus, hurlant de toutes mes forces, enragée comme une meute entière.
Mais que peut une jeune fille comme moi ? D'un revers de la main, même sous l'effet de surprise, il me frappe. J'éprouve une sensation horrible, comme si ma joue explosait de l'intérieur. Hurlant à nouveau, mais de douleur, je me retrouve au sol, à quatre pattes, alors que je l'entend appeler les autres.
J'entends quatre autres pattes. Un feulement terrorisant et un courant d'air passant par dessus mon corps. La biche, était rapide, mais ce n'était qu'un jeu d'enfant.
Une autre chasse était en cours. La proie crie de peur et s'enfuit. Plus massive. Plus forte. Plus nombreuse. Mais bien plus facile. Ses pas lourds marquent la neige profondément, et l'odeur de la peur qui l'entoure ne fait que nourrir l'appétit de la bête. Il court, le loup grognant tel un charognard et je me lève, revigorée et me met à les poursuivre.
J'en enjambe un dans ma course, agonisant au sol dans une marre de sang. Je continue, entendant les cris des autres au loin, et le hurlement du prédateur.
Un second, dans le même état que le premier. Mais ce n'est pas lui qui m'intéresse non plus. Je continue encore, de plus en plus excitée par ce que j'ai fuis il y a quelques heures ? Non ... quelques minutes seulement en fait. Les yeux froids de la biche ne m'évoquaient rien. Ses yeux à lui, arrachés de leur socle, me plaisent bien plus.
Je le vois. Assis dans la neige, reculant comme il le peut, le visage terrifié par les crocs du loup à quelques centimètres de sa peau. Je marche, m'approchant de l'animal. Non. De l'être humain, passant lentement ma main dans son poil humidifié par l'effort. Il me regarde et grogne, pas contre moi, je crois. J'avance encore d'un pas, passant le bout de mes doigts contre son museau, qu'il caresse comme le ferait un chien de berger. Ma main rougit, souillée de leur sang à eux, les animaux. Je la porte devant mes yeux, entrouvrant mes doigts pour voir le visage du dernier. Celui qui me hait, celui qui voulait vraiment me faire du mal. Il me regarde, le visage déconfit, tremblant de froid et de peur. J'aperçois une tâche jaunâtre dans la neige. Il se pisse dessus. Je souris.
Il parle, enfin essaie. Mais je n'entend pas, je n'écoute pas.
Je hurle, non comme une frêle jeune fille, comme je l'aurais fait il y a quelques heures. Je hurle, presque comme une louve qui veut protéger ses enfants. Je plie légèrement les jambes, me préparant à bondir telle la femelle de la créature blanche qui se tend à mes côtés. Je la regarde, montrant les dents. Une proie est une proie. Elle ne peut que mourir. Parfois elles s'échappent, mais pour Lui, la chose est improbable. Je hurle toujours, sentant ma gorge s'enflammer. J'amorce un mouvement de ma jambe droite, prête à sauter sur lui. Mais j'entends hurler, bien plus fort et plus sauvage que moi.
Ma gorge s'enflamme, et je ne peux que m'arrêter de crier, ne bougeant plus. Je regarde le loup se débattant férocement sur le sol, alors qu'une pluie de neige se mouvait autour de lui.
La pluie glacée se transforme en averse écarlate. J'écarquille les yeux, complètement horrifiée, regardant la tête de l'homme virevolter dans les airs.
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