Voila le récit sur la naissance du mouvement amranéen :
Assis sur le rebord de la muraille, Joris contemplait la course de la lune dans le ciel d'Akatéa.
Il aimait se trouver là, la nuit, sur le dernier rempart de l’homme face à la Grande Malédiction. Il y guettait les mouvements des bannis, créatures d’horreurs qui rôdaient inlassablement dans l'obscurité, et dont on pouvait entendre, dans leurs cris, le murmure des Dieux, maudissant encore et encore les hommes de leur affront. Il scrutait aussi l’horizon s’imaginant les montagnes, les lacs et les océans qu’il ne verrait probablement jamais, et ne pouvait espérer y aller un jour.
Il en avait assez de tout cela ! Assez de devoir attendre derrière ces grands murs devenus prison. Tout cela à cause d’un seul homme, ce Brutus, qui leur avait tant coûté…
A ses yeux, les hommes se fourvoyaient. A quoi bon persister à vivre ainsi, cloîtrés en attendant la clémence divine ? Ce n'était pas comme cela que les hommes retrouveraient leur liberté et la confiance des Dieux ! Il avait le sentiment de comprendre ce que les divinités attendaient de lui qu’il fasse quelque chose. Pensant ainsi, il était un être à part.
Depuis sa naissance, les habitants de la cité voyaient en Joris un homme différent.
Alors que certains hommes disposaient de quelques facultés magiques, il avait développé un pouvoir bien plus puissant et précoce que chez quiconque. On le disait souvent « béni des Dieux » de par ses aptitudes exceptionnelles et son charisme. Mais ses concitoyens n'étaient pas les seuls à l'avoir remarqué. Le seigneur de la ville avait tôt fait de l'enrôler dans la milice pour faire profiter la garde de ses talents. Ainsi il participait contre son gré à ce qu'il considérait comme une pure perte de temps, à savoir lutter contre la fureur des Dieux.
Du haut de la muraille il entendit un sifflement. Se penchant dans le vide, il repéra rapidement de nombreuses formes en train d'escalader la paroi. Hurlant l'alerte, il sortit son épée pour se préparer à recevoir le courroux divin. Les arachnides grouillaient sur la muraille, et comme une vague d’abattirent sur les hommes. Toute la nuit durant ils furent noyés sous les attaques des bêtes, et jusqu'à l'aube retentit le mélange tristement commun du hurlement, du fracas des armes et des cris.
Les conséquences furent lourdes, et marquèrent un tournant dans la vie de Joris. Regardant ses confrères, il vit au plus profond de leur être la douleur et le désespoir. Un soldat sanglotait, penché sur le cadavre de son ami et maudissant les dieux. Un autre clopinait, un bras en moins et un œil crevé. Et Joris, les mains encore suintantes de larmes et de sang, voyait une fois de plus la Grande Malédiction dans toute sa splendeur.
Se levant, il alla le redresser et s'adressa à ses compagnons d'armes.
Il leur dit qu'ils ne devaient pas renoncer, que cette malédiction devait prendre fin, et que pour ce faire, ils devaient reconquérir la volonté des Dieux. Ils devaient abandonner ces murs, cette prison dans laquelle la vermine les assiégeait, ils devaient de nouveau vivre comme leurs ancêtres le faisaient, en harmonie avec les Dieux, et non luttant contre eux, sous l'autorité d'un Empereur.
Cet empereur était un fou, défiant les dieux comme l’eut fait Brutus, luttant encore et encore contre la malédiction et forçant les hommes à faire de même.
Joris promit de tous les protéger, de trouver un lieu où ils pourraient vivre, en harmonie avec la nature, en vénérant les Dieux et en leur montrant qu'ils aspiraient à retrouver la vie de leurs ancêtres. A ceux qui voulurent l’entendre il leur proposa de venir avec lui, loin de ces grands murs.
Un capitaine hurla à Joris de se taire, l'accusa de traîtrise à l'Empereur et ordonna sa mise aux fers. Mais le restant de ses paroles devint un immonde gargouillis et il tomba au sol, la gorge traversée par une flèche. Le coup venait d’un soldat, et appuyant les paroles de Joris, il vint se poster à côté de celui-ci, montrant qu’il le suivrait comme ses idéaux.
Mais tous n’était pas d’accord, et ainsi au milieu des rues se dessina deux groupes distincts, l’un défendant Joris, et l’autre accusait ce dernier de parjure et de traitre. Après les insultes, ce furent les coups qui fusèrent, et les hommes croisèrent le fer. Pour la première fois depuis des années, les hommes s’opposèrent entre eux. Les combats durèrent toute la journée, dans tous les quartiers des émeutes éclatèrent, des hommes emplis d’un nouvelle espoir s’opposaient aux fidèles de l’empire.
Il y eut des blessés, des morts, alors Joris et ces hommes cherchèrent à s’éloigner le plus possible des combats, et s’enfoncèrent dans les ruelles sombres et étroites de la ville. Il envoya les soldats chercher leur famille et leur donna rendez-vous dans un entrepôt, près de la face sud de la muraille. Aux célibataires, il les invita à le suivre jusqu'à un lieu où était entreposé un dangereux explosif. Cette arme était interdite d'usage dans la cité suite à un grave accident. En effet, il y a quelques années, une parcelle entière de muraille avait été balayée par l'explosion de cette arme connue pour être instable. Sa ligne de défense abattue, la malédiction avait déferlée dans les rues, causant de gros dégâts et de nombreuses pertes humaines. Et cette nuit, la chose allait se reproduire.
Ils transportèrent les caisses d'explosif vers les entrepôts où les attendaient plusieurs dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants. Joris s'adressa à eux, leur dit que la route allait être longue et difficile, que beaucoup allaient périr, mais qu'ensemble, ils allaient réussir à vivre en harmonie avec les dieux. D'un signe de tête, il intima aux hommes chargés des explosifs d'aller les disposer le long de la muraille. Cette dernière était vulnérable et peu gardée à cet endroit.
Puis la détonation se fit entendre, soulevant tonnes de pierres et de poussières, libérant le passage à Joris et ses frères. En même temps que les hommes s’enfuirent, la malédiction entra dans la ville, et les gardes ne purent suivre leur amis d’hier, désormais ennemis à jamais.
A bout de souffle, après plusieurs heures de course dans les bois, la troupe se rassembla au bord d'un cour d'eau. La lumière était magnifique, accentuant le vert des arbres, transformant l'eau en un miroir mouvant. Sans parler, ils se sourirent, chacun ayant la conviction qu'une nouvelle vie s'offrait à eux, faite de liberté. Ils nommèrent leur guide « Joris le sage », et le suivirent comme un père pour fonder un nouveau clan, une nouvelle famille.
Plusieurs années passèrent et Joris le Sage tint sa promesse. A ses hommes et à leur familles, il leur donna un lieu où s'installer vivre et prospérer. Ils apprirent à subsister face à la Grande Malédiction sans toutefois s'entourer de murs de pierre. Ils construisirent des temples, choisirent des chamans, prièrent les Dieux et adoptèrent pour symbole Amranaé qui fût injustement coupé par Brutus l'Immense. Ils décidèrent de combattre l'Empereur, né de la folie des hommes, à tout prix, pour retrouver la grâce divine.
Ainsi naquit l'ordre des Amranéens,...