Hearalgar se pressait, il s’était réveillé trop en retard. Sûrement cette soirée de la veille un peu trop arrosée à la taverne. Sa tête lui demandait d’aller se recoucher, et dormir. Il n’en avait pas le temps. Il avait dit au soldat Haravie la veille, qu’ils se donnaient rendez-vous à l’entrée de Mont-Brumeux, dès le lever de Cycléis, afin de chercher de nouvelles bêtes, et en particulier des Taureaux, car il avait malencontreusement tué tous ses reproducteurs la veille…
Hearalgar prit le minimum, c’est-à-dire sa Houe, qu’il accrocha à son dos, et quelques miches de pains et du blé, au cas où la faim le rattraperait.
Il sortit de chez lui, et se dirigea vers les portes, désormais ornées de magnifiques tours de garde qui surplombaient la ville.
Aux pieds de cette tour, Haravie attendait, sans signe distinct de nervosité dû au retard du paysan.
Il lança simplement un « Salutations, Paysan, alors, vous voilà enfin ?
Je vous avais prévenu, hier, de quitter la taverne et d’aller dormir en même temps que moi… »
Hearalgar haussa les épaules en signe d’approbation, et ils partirent vers rive feuilles, ou le peu d’activité humaine et les plaines favorisaient les rencontres avec les ruminants.
Le voyage entre la capitale, et la ville marécageuse fut calme, sans paroles, et sans problème particulier.
Les deux voyageurs firent une brève halte et partirent au sud, depuis Rive feuille.
Finalement, l’atmosphère se fit plus détendue, après que Chadomazo leur avait dit qu’il avait vu des bêtes non loin d’ici.
Après quelques heures de marche, ils parvinrent enfin devant un troupeau de bovins, qui paissait tranquillement, sans se douter que la suite allait être mouvementée. C’est à ce moment qu’Hearalgar se sentit stupide :
Comment allait-il attraper un taureau d’une demi-tonne ?
Il venait de réaliser, en effet, que les bêtes qu’il avait eu avaient été offertes par l’empire, et qu’il les avait eues très jeunes, et il avait assuré leur descendance.
Le jeune homme avait un contact particulier avec les animaux, et il savait les amadouer avec la nourriture adéquate.
Il demanda à Haravie de rester en arrière, sortit une poignée de blé, et s’approcha d’un jeune Taureau, avec tout le calme possible.
La bête le regarda,
huma sa nourriture,
le regarda,
huma encore,
la regarda encore,et…
s’éloigna, nullement intéressée par le blé, alors qu’elle avait de l’herbe fraiche à profusion.
Hearalgar, décontenancé, essaya auprès d’une autre bête sans grand résultat. Il partit en direction d’un mâle isolé, sans remarquer qu’il était suivi par une vache plus curieuse que les autres.
Il sentait la colère et la frustration monter en lui.
D’abord, il se sentait ridicule à essayer d'amadouer de bovins, et Haravie n’avait pas l’air très enchanté de voir qu’ils avaient peut être fait ce voyage en vain.
Que fallait-il faire pour que ces bêtes s’intéressent à lui ?
Il tendit du blé au taureau,
qui le regarda longuement,
regarda au loin,
battit l'air de sa queue pour chasser quelques mouches,
regarda le ciel,
regarda à gauche,
renifla la poignée de blé, et...
finit par ouvrir la bouche…
pour lui lancer un magnifique « MUUUUEEUUUUH ! », accompagné par une haleine d’herbe digérée trois fois, sans prévenir.
Hearalgar, surpris, se retourna brusquement, et frappa involontairement la vache qui le suivait, se demandant qu’est-ce que cette chose à deux pattes faisait dans leur troupeau. La bête, surprise, rua, sans raison, commença à partir au pas de course… ce qui commença à affoler le troupeau… et mettre l’instinct protecteur des mâles en action… Un jeune taureau se préparait à charger.
« Courez, Haravie ! Ils vont charger ! »
Les deux hommes courraient à en perdre haleine, et commençaient à être rattrapés peu à peu par les trois taureaux, qui s’étaient liés contre ce duo d’humains qui menaçaient leur troupeau, qui d’ailleurs, les suivait, guidé par l’instinct grégaire.
Le groupe de vaches n’avait pas idée de pourquoi il fallait charger, mais il chargeait.
La course sembla durer une éternité aux deux impériaux.
Il ne fallait surtout pas tomber.
Surtout pas.
Pas maintenant.
Sinon, le piétinement qu’ils allaient subir pourrait leur permettre de battre le record de finesse des parchemins Akatéens.
Ils remarquèrent l’entrée d’une jungle, semblable à la jungle située avant Rive-feuille.
Les deux hommes y pénétrèrent sans hésiter.
Le troupeau, étrangement, ne les suivit pas. Une vache ou un taureau n'a pas la constitution lui permettant de progresser dans une zone à la végétation si dense.
Cycléis commençait à décliner, et on n’y voyait rien. Et cette jungle était épaisse, et chaque pas était une vraie épreuve physique et psychologique, à cause des inégalités du sol, et des griffures incessantes causées par les branches.
Et l’obscurité était de plus en plus présente : sûrement la densité du feuillage, qui raccourcissait les journées dans cette jungle.
Soudain, les hommes s’arrêtèrent, et reconnurent des bruits de bannis sortant de terre, et des bruits d’ossements, et certains crépitements de bannis explosifs. Les bannis sortaient plus tôt.
La puissante lumière de Cycléis faiblissait, et ne les atteignait déjà plus.
Il fallait s’arrêter et attendre le lendemain, afin de se repérer par rapport à la position de Cycléis.
Les deux hommes n’étaient pas en sécurité.
Il fallait trouver un lieu en hauteur et vite. Ils s’agrippèrent à des lianes, et trouvèrent refuge dans un de ces arbres géants. Ils y passèrent une nuit pénible, continuellement alertés par des cris de bannis plus bas.
Ils furent rattrapés par le monde des rêves, et se réveillèrent le lendemain, grelottants à cause des gouttes de rosée matinale, dont ils étaient recouverts.
Ils descendirent de leur abri de fortune.
Aucun banni dans les environs.
Tant-pis pour le troupeau.
Il fallait rentrer, car ils n’avaient quasiment plus de nourriture. Mais comment? Leur course leur avait fait perdre tous leurs points de repère.
Hearalgar pensa à retourner au nord, afin de retrouver Rive-feuille
Haravie lui conseilla de partir en direction du Nord-Ouest, afin de retomber sur la route Impériale, et ne pas rater Rive-Feuille. C’est ce qu’ils firent.
Mais au cours du voyage, Hearalgar remarqua soudain que la végétation autour d‘eux n’avait rien de celle d’Haut-Chêne ou Mont-brumeux.
Les arbres portaient des choses aux formes étranges.
D’autres formaient des sortes de grappes de toutes les couleurs.
« Haravie, pensez-vous que nous pouvons en prendre ? ON dirait... des fruits?!
Je testerai d’abord si ces fruits sont comestibles sur des prisonniers Amranéens, et l’on pourrait peut-être les cultiver! C’est un don de Cycléis!
Haravie acquiesça.
Il y en avait à profusion, de toute les couleurs, de toutes les formes.
Certains poussaient dans des petits buissons informes, d’autres dans de grands arbres !
Certains était mêmes jaunes et ithyphalliques !
Il y avait même des arbres remplis de pommes, fruit très rare, habituellement.
Haravie l’aida à transporter toutes ces trouvailles, qui commençaient à déborder de la besace du paysan ! Et rien que le parfum qui se dégageait de certains était un régal ! Leur goût changerait sûrement de celui des pommes ou des pastèques. Il y en avait qu’on pourrait qualifier de pommes duveteuses, d’autres, plus étranges, et de formes méconnues, et indéfinissables.
J’ai du pain sur la planche, se dit le paysan.
Les deux voyageurs, rentrèrent bredouille, au niveau viande, mais cette découverte allait changer l’avenir des impériaux. Certains de ces fruits étaient très nutritifs, et pourraient servir de ressource d’échange entre les villes. Mais certains ne supporteraient sans doute pas le climat gelé de mont-brumeux…
Il faudra que j’en parle au grand intendant, cependant, je vais voir leur résistance au froid.
Ils finirent par croiser la route entre Rive feuille et le carrefour des caravanes. Haravie escorta le paysan jusqu’à Haut-Chènes sans problèmes. Hearalgar le paya pour la garde rapprochée, et se dirigea vers le palais de l’empereur, où il fit transmettre un message à l’intendant :
« Grand Intendant,
Nous avons découvert une terre jusque-là inexplorée sur Akatéa. La culture Impériale va grandement s’améliorer. Je demande à y retourner rapidement et avec des renforts, afin de trouver d’autres ressources.
PS : Pourriez-vous me fournir un taureau, je vous expliquerai tout prochainement…
Merci d’avance»
Votre dévoué paysan et éleveur,
Hearalgar »
