Dans la forêt, tout était pareil, et pourtant si différent. Les jeunes arbres avaient poussés, se frayant parfois un chemin au travers des branches de leurs ainés. La pluie était aussi battante que le jour où il était parti, mais comme à cette époque, peu d’eau atteignait sa cape carmin et le couvert des arbres était toujours aussi impénétrable.
Franekovitch pouvait déjà entendre ses anciens frères parler et vaquer comme toujours à leurs occupations. Et lui peinait de ne pouvoir toujours pas contempler Racine-Courante, surtout maintenant que ses yeux avaient connus la nostalgie du solitaire. Mais au moins, avait-il grandi en sagesse pour aider un peu plus ces gens qu’il aimait tant.
Un grognement se fit alors entendre derrière lui. Une louve se tenait là, protégeant sa portée qui non-loin, jappait en son absence, comme l’entendait l’aveugle.
« Tu sais tout comme moi que tu n’as rien à craindre, pourquoi cet air, semble-t-il, si menaçant ? »
Avait-il à peine prononcé ces mots que le canidé vint lui lécher les doigts le plus paisiblement du monde.
Exténué, l’ancien chaman ne souhaitait qu’une chose, se reposer un peu avant de devoir donner tant d’explications quant à son départ. Il se faufila alors dans le village, lui étant facile d’éviter toutes personnes approchant, car après tout, personne ne l’attendait, d’ailleurs, personne n’était attendu, simplement. Mais, fût-il surpris de trouver sa maison vide de toute chose, l’arbre creux et ses racines rassurantes toujours debout, mais aussi creux qu’il ne l’avait jamais été depuis le retour du peuple d’Amranaé en ce village. Cela été logique après tout, n’était-il pas parti depuis 1 an désormais ?
Cette surprise et le temps de réaction qui suivit permirent à plusieurs personnes passant par-là de remarquer Franekovitch, et de le reconnaître assez vite malgré ses cheveux en bataille et son pantalon boueux.
« Où étais-tu passé ?! » demandait l’un.
« Pourquoi tu ne nous as rien dit ?! » ajouta l’autre.
L’ancien impérial sortit alors de son ancienne demeure, se posa sur sa racine préférée, et commença à raconter.
Raconter comment il avait rêvé plusieurs fois de Racine-Courante en cendre, comment il avait fini par craindre là un quelconque présage, et comment, la nuit de son départ, il avait entendu une voix, enfin, plutôt un son, comme si les feuilles sifflaient une langue furtive dans le vent, qui lui sommait de partir, et de chercher des réponses à ses rêves.
Raconter comment il avait fini par écouter la voix, et qu’il s’était mis à errer de part et d’autre d’Akatéa, et comment il avait fini par trouver une grotte où la voix était présente dans le murmure de l’eau. Et qu’il avait choisi de rester là, à méditer, et à écouter ce que la voix avait à lui enseigner sur chaque chose de la nature.
Puis, comme pour appuyer ses paroles frôlant le surréalisme, il posa la main sur le tronc de l’arbre. Et là, sous les yeux de ses auditeurs improvisés, un petit bourgeon se mit à jaillir, il était encore frêle, et petit, et fragile, mais tous pouvaient jurer qu’il n’était pas là la seconde d’avant.
Les jappements des louveteaux qui jouaient rappelèrent l’attention sur Franekovitch. En effet, pendant que l’attention était dérivée sur l’arbre, la louve était venue, suivi de ses petits, rejoindre l’homme qu’elle avait rencontré plus tôt.
Un léger sourire sur le visage, l’aveugle retourna à l’intérieur de son ancien chez lui, et s’installa dos au mur, assit, pour s’endormir. Et la louve et ses petits vinrent se blottirent contre lui, et s’assoupirent eux aussi.