Tout allait bien pour Absurd, et il en était conscient. Son intégration parmi les Amranéens se déroulait à merveille, il n’était pas encore là depuis un mois mais il se sentait chez lui.
Le shaman Maxylos l’avait même expressément invité à installer un étal sur la Grande Place de Morne-Colline, qui accueillait la Criée. Absurd avait tout d’abord réfléchi à la proposition, ouvrir une boutique, certes, mais pour y vendre quoi ? Il avait sûrement amélioré ses talents d’ébéniste ou de sculpteur depuis qu’il était ici, mais il n’arrivait pas à la cheville de ses compagnons.
Mais après quelques heures de réflexion, le barde eût soudain une idée :
Mais évidemment que je possède quelque chose qui a de la valeur, comment n’y ai-je pas pensé avant ? Je vais tenir une échoppe peu commune, celle d’un écrivain public !
Comme disait son ami Diabolo : « Si tu as une idée, transforme là en projet, et si tu as un projet, réalise le ! »
Il fallait donc se mettre au travail. Absurd aida tout d’abord le shaman à agrandir un renfoncement qui avait autrefois servi d’habitation. Ce faisant, ils débouchèrent sur une caverne, d’où jaillissait une source d’eau claire. Ils décidèrent de profiter de ce don de Sinrir et creusèrent une rigole pour transformer ce flot désordonné en une fontaine débouchant dans la pièce qu’ils avaient creusé. C’est là que le barde avait décidé qu’il s’installerait.
Au bout d’une après-midi passée à donner des coups de pioches et à tailler du bois, l’alcôve avait enfin l’allure d’un « magasin ». Absurd ramena une planche qui traînait à terre et rentra chez lui. Là-bas il fouilla dans ses coffres et finit par dénicher ce qu’il cherchait : un bout de lapis, qui une fois transformé en colorant bleu, serait du plus bel effet sur son enseigne.
Il fallait maintenant annoncer l’ouverture de ce lieu consacré à la plume et au verbe, et pour ce faire il rédigea une note qu’il cloua sur le panneau d’information :
Amis Amranéens, je suis aujourd’hui heureux de vous annoncer l’ouverture de mon échoppe d’écrivain public !
Si vous cherchez à impressionner une dame (ou un mouton si vous êtes garde impérial), n’hésitez pas plus longtemps et demandez mes services, poésies galantes sur commande !
Si avant de partir au combat vous voulez vous assurer la faveur d’un ou des Dieux, demandez mes services, prières ferventes sur demande ! Dans le même registre, je peux également fournir des chants guerriers pour se donner du baume au cœur.
Quand vous revenez victorieux, pensez à l’écrivain public pour raconter vo batailles ! (ou bien minimiser vos défaites)
Et plus simplement si vous voulez passer une bonne soirée à la taverne, demandez les chansons légères : ode à la boisson, satire anti-impériale, etc.
Pour conclure, n’oubliez pas que sur Akatéa
IL NE SUFFIT PAS D’AGIR, IL FAUT AUSSI SAVOIR L’ECRIRE
Bien heureux de son annonce, Absurd était assis sur les marches devant son étal. Une chope de bière à la main, et une pipe de bambou d’Eau-Changeante dans l’autre, il contemplait la Grande-Place et les habitants de Morne-Colline qui vaquaient à leurs occupations.
Leko le forgeron se plaignait avec sourire qu’il y avait beaucoup trop de fer, et que si ça continuait ils allaient être obligés d’en faire du carrelage ; Maniak semblait rassembler des hommes et du matériel pour un grand chantier ; Maxylos courait à droite à gauche, toujours un projet en tête ; et Eressea lui faisait signe depuis la terrasse de sa taverne.
Absurd souffla la fumée vers le haut plafond de pierres taillées, en souriant de contentement.
Il ne restait plus qu’à attendre les clients.