Cette après-midi là, Cycléis avait beau illuminer l'azur de son costume de sa parure dorée, Morne-Colline semblait froide et triste aux yeux d'Absurd. Peut-être que la sensation de sécurité donné par la pierre disparaissait... peut-être que les étroites lucarnes de son alcôve ne laissait plus assez de place au ciel à son goût... Ou bien peut-être que si le barde n'avait plus envie de chanter c'était pour une autre raison.
Assis sur un banc de bois, il pansait ses blessures encore sanguinolentes. Son épaule était douloureuse, et de nombreuses traces de brûlures était visibles sur sa peau. Mais ce qui lui faisait le plus mal, c'était la sensation d'avoir atteint la fin d'un rêve, de s'être réveillé trop tôt.
Depuis qu'il était en âge de mettre des mots sur les sentiments, Absurd avait pu constater à quel point la société akatéenne était individualiste et cruelle. Il s'était forgé une armure affective, le rendant insensible à tout les vices de l'Empire et de ses enfants. L'argent et le pouvoir avaient plus de valeur pour les gens que l'amitié, il en était ainsi, et il avait fini par s'y habituer.
Mais il avait ôté cette cuirasse qu'il pensait devoir porter à vie, il avait laissé derrière lui ses préjugés sur les hommes en rencontrant les amranéens. Parmi eux il avait enfin pu comprendre le sens du mot solidarité, il s'était senti accueilli, en l'espace de quelques semaines il était devenu membre d'une famille unie qui n'abandonne jamais ses proches... Du moins c'est ce qu'il croyait.
Car cette entaille sur son épaule gauche, non loin du cœur, ne provenait pas de l'estocade d'un garde impérial, mais d'une flèche amranéenne. Tirée volontairement et avec un mépris pour la vie dont n'aurait rien à envier le plus farouche des bourreaux impériaux. Le fondateur du nouveau village séparatiste, Racine Courante, avait attaqué Morne-Colline dans la matinée.
Aux cris d'aide du Shaman, Absurd était arrivé épée en main, s'efforçant de faire bonne mesure face à l'expérience guerrière de l'assaillant. Mais il avait été humilité, perdant le combat en quelques secondes, et laissé pour mort au sol.
Le barde désenchanté n'éprouvait même pas le désir de savoir ce qui avait provoqué cette querelle, tout ce qu'il retenait était l'image d'Icaime lui tirant une flèche à bout portant, de la douleur du choc, et puis du noir.
Il avait été assez faible pour croire en cette communauté amranéenne, assez faible pour oublier les vices du genre humain, assez faible pour à nouveau avoir confiance en autrui. Les séparatistes aussi ont leurs rancœurs inassouvies et leurs jalousies fratricides. Maudits soient les Dieux de lui avoir fait croire le contraire.